La Création (3)

C’est pourquoi on ne peut objectiver le rien originel. Nihil, ici, veut dire simplement que rien « avant » la création n’existait « en dehors » de Dieu. Ou plutôt que cet « en dehors » et cet « avant » sont absurdes, puisque c’est justement la création qui les pose. Penser cet « en dehors » c’est se heurter au rien, c’est-à-dire ne plus pouvoir penser. Il n’existe que par la création, il est cet « espacement » même qui constitue la création. De même, on ne peut évoquer ce qui existait « avant » la création : le « commencement » n’a pas de sens en Dieu, il naît avec l’être créé, c’est la création qui constitue le temps dont l’avant et l’après sont des termes. Comme l’« en dehors », l’« avant » se ramène au nihil, supprime la pensée. L’un et l’autre, diraient les Allemands, sont des « concepts limites ». Ainsi toute la dialectique de l’être et du néant est absurde : le néant n’a pas d’existence propre (ce serait d’ailleurs une contradiction in adjecto), il est corrélatif à l’être même des créatures ; celles-ci ne sont fondées ni en elles-mêmes, ni dans l’essence divine, mais uniquement sur la volonté de Dieu. Cette absence de fondement propre est le néant. Le stable, le permanent pour la créature c’est donc son rapport à Dieu ; par rapport à elle-même elle se ramène au rien.  Ancore…

Le « nouveau » de la création n’ajoute donc rien à l’être de Dieu. Nos concepts procèdent par juxtaposition, selon une imagerie chosiste, mais on ne peut additionner Dieu et le monde. La pensée doit procéder ici par analogie, de manière à souligner à la fois le rapport et la différence ; car la créature n’existe qu’en Dieu, dans cette volonté créatrice qui justement la fait différente de Dieu, c’est-à-dire créature. « Les créatures sont posées sur la parole créatrice de Dieu comme sur un pont de diamant, sous l’abîme de l’infinité divine, au-dessus de l’abîme de leur propre néant » (saint Philarète de Moscou).

Sources: Textes extraits du périodique « La Vie Spirituelle », éditions du Cerf, Novembre-décembre 1987. 67e année. N° 677. Tome 141 & Icônes de Léonide A. Ouspensky et du Moine Grégoire Krug, amis de V. L., extraites de l’ouvrage “L’iconographie de l’église des Trois Saints Hiérarques”, Paris 2001.