Image et Ressemblance (2)
3 Μαρτίου 2010
Le monde suit l’homme, puisqu’il est comme sa nature : « l’anthroposphère » pourrait-on dire. Et ce lien anthropocosmique s’accomplit quand s’accomplit celui de l’image humaine avec Dieu son prototype : car la personne ne peut, sans se détruire, prétendre posséder sa nature, sa qualité notamment de microcosme dans le monde, mais trouve sa plénitude quand elle la donne, quand elle assume l’univers pour l’offrir à Dieu.
Nous sommes donc responsables du monde. Nous sommes la parole, le logos, dans lequel il se parle, et il ne dépend que de nous qu’il blasphème ou prie. A travers nous seuls le cosmos, comme le corps qu’il prolonge, peut recevoir la grâce. Car non seulement l’âme, mais le corps de l’homme est créé à l’image de Dieu. « Ensemble ils ont été créés à l’image de Dieu », écrit saint Grégoire Palamas. Ancore…
L’image ne peut donc être objectivée, « naturalisée » pourrait-on dire, en étant attribuée à une quelconque partie de l’être humain. Être à l’image de Dieu, affirment les Pères en dernière analyse, c’est être un être personnel, c’est-à-dire un être libre, responsable. Pourquoi, pourrait-on demander, Dieu a-t-il créé l’homme libre et responsable ? Justement parce qu’il voulait l’appeler à une vocation suprême : la déification, c’est-à-dire à devenir par la grâce, dans un élan infini comme Dieu, ce que Dieu est par sa nature. Or, cet appel exige une libre réponse, Dieu veut que cet élan soit un élan d’amour. L’union sans amour serait automatique, et l’amour implique la liberté, la possibilité du choix et du refus. Il y a certes un amour non personnel, mouvement aveugle du désir, serf d’une force naturelle. Mais tel n’est pas l’amour de l’homme ou de l’ange pour Dieu : sinon nous serions des animaux qui s’attachent à Dieu par une sorte d’obscur attrait de type sexuel. Pour être ce que l’on doit en aimant Dieu, il fait admettre qu’on puisse être le contraire, il faut admettre qu’on puisse se révolter. La résistance de la liberté donne seule son sens à l’adhésion. L’amour que Dieu réclame n’est pas aimantation physique, mais tension vivante des contraires. Cette liberté vient de Dieu : elle est le sceau de notre participation divine, le chef-d’œuvre du Créateur.
Un être personnel est capable d’aimer quelqu’un plus que sa propre nature, plus que sa propre vie. La personne, c’est-à-dire l’image de Dieu en l’homme, c’est donc la liberté de l’homme à l’égard de sa nature, « le fait d’être affranchi de la nécessité et de n’être pas soumis à la domination de la nature, mais de pouvoir se déterminer librement » (saint Grégoire de Nysse). L’homme agit le plus souvent sous des impulsions naturelles ; il est conditionné par son tempérament, son caractère, son hérédité, l’ambiance cosmique ou psycho-sociale, voire sa propre historicité. Mais la vérité de l’homme est au-delà de tout conditionnement, et sa dignité, de pouvoir se libérer de sa nature, non pour la consumer ou l’abandonner à elle-même comme le sage antique ou oriental, mais pour la transfigurer en Dieu.
Sources: Textes extraits du périodique « La Vie Spirituelle », éditions du Cerf, Novembre-décembre 1987. 67e année. N° 677. Tome 141 & Icônes de Léonide A. Ouspensky et du Moine Grégoire Krug, amis de V. L., extraites de l’ouvrage “L’iconographie de l’église des Trois Saints Hiérarques”, Paris 2001.